The Act of Killing est un documentaire danois, norvégien et britannique réalisé par Joshua Oppenheimer. Sorti en avril 2013 au cinéma en France, ce document exclusif raconte sans détour le génocide qui eut lieu au milieu des années 60 en Indonésie et particulièrement à Sumatra, dans la région de Medan. Cinq années de tournage, plus de mille heures de rushes et trois ans et demi de montage plus tard, je vous propose de découvrir ce documentaire historique racontant l’indicible horreur des actes de 1965 1966 en Indonésie.
Le contexte
J’ai découvert l’Indonésie lors d’un voyage assez classique à Bali. Bali, ses temples, ses rizières infiniment belles, ses plages de rêves, sa population et ses sourires. Bali, la vitrine de l’Indonésie. J’ai tellement aimé cette île que j’y suis retournée une fois, deux fois, trois fois. Classique. J’ai créé Balisolo pour partager avec le monde mon amour pour Bali et par extension, mon amour pour l’archipel qu’il me tarde de découvrir davantage. Photos de vacances, bons plans pour se loger ou se nourrir, portraits d’amis, interviews de voyageurs… Balisolo est une belle aventure et me connecte en permanence à l’île des Dieux. Pour tout vous dire, Balisolo est un échappatoire, une manière d’entretenir mon fantasme d’un autre monde où tout est beau, où tout le monde est gentil. Ma vision n’est pas totalement « aveugle » mais fortement dirigée par ce désir d’ailleurs. Je repense d’ailleurs à cette vérité du Dalai Lama :
Là-bas n’est pas mieux qu’ici. Quand tu seras là-bas, il deviendra ton ici et tu auras un autre là-bas qui te semblera meilleur que ton ici.
J’y repense parce qu’à force de m’intéresser à l’Indonésie, à faire une veille quotidienne sur le web, à discuter avec d’autres amoureux de ce pays, ma vision s’affine un peu plus chaque jour et je me rends compte que l’Indonésie n’est pas uniquement la terre idéale que je promeus sur ce blog. Je découvre des images de son immense pauvreté, des dénonciations de corruption, des récits d’escroquerie, je lis d’innombrables infos sur le trafic de drogues, je vois des images de mort et de tortures sur des forums indonésiens et plus encore… l’Indonésie est en fait comme tous les autres pays du monde, vivante et unique, riche et imparfaite. Elle est comme l’hindouisme à la balinaise définit l’univers, une entité de forces contradictoires, remplie de Dieux et de démons, de Bien et de Mal (je m’excuse d’avance pour ceux que ma naïveté agacera – ceux-là, je les invite à passer à l’article suivant). Et, malgré la part non-négligeable de « mal » et de « démons » et à ma grande surprise, cela n’entache pas l’affection que j’ai pour elle.
Au fil de mes lectures digitales et à mesure que mon intérêt pour l’Indonésie grandit, je m’intéresse de plus en plus à l’histoire de ce pays. Les dynasties javanaises, les royaumes musulmans, l’invasion néerlandaise, la révolution indonésienne, l’indépendance et ses célébrations, la dictature de Soeharto, la place de l’islam et le régime démocratique actuel… Dans cette lignée, je suis tombée sur ce documentaire, The Act of Killing, et me suis dit que ce devait être le bon moment pour découvrir cette partie de l’histoire, que j’avais eu plusieurs bribes d’infos pour contextualiser cette terrible époque et que mon idée de l’Indonésie était suffisamment développée pour ne pas que je mécomprenne ce que je vais vous raconter.
Le documentaire
Au départ, Joshua Oppenheimer était en Indonésie pour faire un documentaire sur le syndicalisme à Sumatra. Critique, la vie des syndicats était un vrai sacerdoce pour ses membres. Rapidement, le réalisateur a été confronté à la peur de la population qui refusait de se confier, d’apparaître, ni même d’être associée à la démarche. Quand, en privé, il leur a demandé l’origine de ces inquiétudes, on lui répondit qu’elles évoquaient de terribles souvenirs de répression et notamment ceux de 1965 sous le régime de Soeharto et sa lutte contre le communisme. Au fil des discussions, il s’aperçut que la plupart des tortionnaires de l’époque ou leur famille était encore leurs voisins aujourd’hui et que ceux-ci bénéficiaient d’une certaine impunité, voire même que certains étaient considérés comme des notables, pire qu’ils appartenaient encore au pouvoir indonésien. Devant son étonnement (Joshua Oppenheimer n’avait jamais eu vent de ces assassinats à l’encontre de centaines de milliers d’indonésiens), ses contacts l’invitèrent à s’entretenir avec les tortionnaires qui se feraient « une joie » de leur raconter leurs brillants exploits à la gloire du pays. C’est ainsi que le thème de son documentaire bascula et qu’il fût amené à interviewer – une infime partie (plus d’une centaine) – des tueurs directs et indirects de Soeharto.
Pendant les deux heures de ce documentaire, vous découvrirez, de la bouche des criminels, les événements de 1965 à Sumatra Nord. Ceux-ci racontent comment ils ont tué les « gauchistes », quelles armes ou techniques ils ont utilisé, comment, aujourd’hui, ils vivent et sont intégrés dans la société civile. On les suit sur les lieux des crimes, on les voit reconstituer les séances de torture, on les voit parader dans les rues et partager des moments de bonne camaraderie avec les politiques en place actuellement, en 2013, on assiste aux conversations qu’ils entretiennent entre eux à propos des années de massacres et l’on se demande tout le long du film jusqu’où ils sont allés, si leur sadisme ou leur perversion connaissaient une quelconque limite.
L’individu clé de ce documentaire est Anwar Congo, un bel homme de 75 ans adorant la mode, le cinéma hollywoodien, la salsa et ayant pour idole américaine l’acteur Sidney Poitier auquel il pense ressembler. Selon le réalisateur, c’est le seul chez qui l’on a pu détecter une once de questionnement sur le bien-fondé des événements de 1965. On ne cherche absolument pas à l’acculer, les faits parlent suffisamment d’eux-mêmes, on montre, de manière juste il me semble, la profonde ou banale humanité du tueur. Car, selon moi, il serait trop facile de l’accuser de monstre et de s’en contenter. Pourquoi en est-il arrivé là ? L’homme n’est ni fou ni débile. Selon moi, il appartenait à un système totalement obtus et corrompu. Les actes qu’on l’a invité à commettre étaient tellement valorisés à l’époque, paraissent tellement découler d’eux-mêmes – pour peu qu’on fasse un temps soit peu confiance aux institutions – qu’on comprend ou devine que le libre-arbitre d’un homme, aussi fort soit-il, ne pouvait suffit à faire face à l’enrôlement de tout un peuple. C’est l’une des nombreuses dénonciations de ce film.
La bande-annonce de The Act of Killing
L’avis de Balisolo
Je n’ai jamais vu un documentaire pareil. Je n’avais jamais vu d’interview d’assassins si longue. Je n’avais jamais imaginé qu’on puisse autant détruire et de toutes ces manières. Je n’avais jamais imaginé que tout ce que j’ai vu dans ce documentaire puisse réellement exister. Je pense que ce documentaire, The Act of Killing de Joshua Oppenheimer, puisqu’il est la seule archive dissidente, devrait être diffusé largement car il est un véritable témoignage de l’histoire non-glorieuse de l’humanité que chacun, intéresse par l’Indonésie ou pas, doit avoir en conscience. Aujourd’hui, le film est diffusé de manière clandestine en Indonésie. Comme le dit le réalisateur :
Je suis sûr que je peux rentrer dans le pays. Mais je ne suis pas sûr d’en sortir […] Un critique a même écrit : « si The Act of Killing avait été réalisé par un Indonésien, le film se serait appelé The Act of being killed« . Si je retourne en Indonésie dans les prochaines années, je m’expose à des représailles venant des groupes paramilitaires et des services secrets.
Ce documentaire démontre aussi l’absurdité des comportements engendrés par la « victoire » des tortionnaires (la formule est peut-être mal choisie) – on les voit fiers de leurs actes, déambulant dans une décapotable en ville, danser dans la rue, acclamés lors des rassemblements du Pemuda Pancasila dans leurs habits militaires orange et noir, etc. Il dépasse complètement notre entendement car ces crimes n’ont jamais été punis. Imaginez qu’on n’ait jamais reconnu les nazis coupables de génocide et que ceux-ci puissent raconter leur crime sans se cacher et sans qu’on leur reproche jamais. Imaginez même qu’on les considère comme des héros. Vous imaginez ? Non, c’est impossible. Dans The Act of Killing, on nous raconte l’impossible et ces citations du documentaire sont l’illustration de l’absurdité que peuvent évoquer les massacres dans notre esprit d’occidental :
On a assassiné des gens parce que c’était permis de le faire. La preuve : on n’a jamais été puni pour ça. – Citation d’un tueur.
Dieu hait les communistes, c’est pour cela qu’il a permis que ce film soit si beau. – Citation d’une journaliste à la télé indonésienne à propos du film qu’ont réalisé les tueurs.
Il faut exterminer les communistes mais avec moins de cruauté, c’est mauvais pour notre image. – Citation du ministre de la Jeunesse actuel alors qu’il visite le film que sont en train de réaliser les tueurs.
Il y a quelques mois, j’avais découvert le Pancasila et ses 5 principes fondateurs de la création de la République d’Indonésie, je les avais trouvé inspirants : la croyance en Dieu unique, une humanité juste et civilisée, l’unité du pays, la sagesse du principe de démocratie, la justice sociale… sur le papier, c’était bien et j’avais même publié une photo du Pancasila sur Javasolo. A aucun moment, je n’ai fait le lien entre le Pemuda Pancasila indonésien et le Front National en France et pourtant… pourtant, tous les tortionnaires du documentaire sont affiliés à ce parti extrême et militaire. L’ignorance.
Ce qui m’a troublé aussi, c’est que la grande majorité des personnes ayant participé à ce documentaire n’apparaissent pas au générique de fin si ce n’est par la mention « anonyme ». Près de 48 ans après les faits, la peur des victimes, de leurs familles et descendants est toujours là.
Je le répète, ce n’est pas un film, c’est un documentaire. Tout ce qui est montré, dit, évoqué dans ce document est vrai, vécu, réel.
Infos pratiques
- Date de sortie en France : 10 avril 2013
- Durée : 1h 55min
- Réalisateur : Joshua Oppenheimer
- Le site web du film : http://theactofkilling.com
Vous pouvez acheter le DVD du film sur Amazon :
The Act of Killing
Vous pouvez également suivre le fil Twitter de l’équipe du film qui partage sa revue de presse et des infos sur le film : Tweets de @TheActofKilling
Récemment, j’ai entendu parlé d’un autre film sur le même thème intitulé « 40 years of silence » et apparemment, 4 familles de victimes témoignent de leur histoire. Vous pouvez le visionner dans son intégralité ici.
N’hésitez par à laisser une petite note sur votre ressenti pour ce film en commentaires ci-dessous.
Bonjour Jenni et merci pour ces infos ! Si vous le voyez passer près de chez vous, ne manquez pas d’aller voir « The look of Silence » du même réalisateur, sorti en Septembre 2015. Édifiant et surprenant… Je suis entrain d’écrire un article à ce sujet sur mon blog de voyage, et j’avoue que vos précisions me sont d’une grande aide 😉 Merci encore pour la qualité de votre site !
Merci Balimimpi, j’ai vu l’avant premiere tout comme celle de The Act of Killing 🙂 Pour votre article, vous pouvez indiquer tous les évènements de l’Ubud Writers and Readers Festival ont été annulés en raison du projet de diffuser The Look of Silence. C’est dire si le sujet est encore brûlant aujourd’hui, malgré les 50 ans qui séparent ces évènements atroces de notre quotidien…
N’hésitez pas à partager votre article sur la page Facebook de Balisolo, une fois écrit. Sampai jumpa!
Merci pour cet article très détaillé. Vous m’avez donné envie de relire Pramoedya Ananta Toer.
Merci à toi. Tu parles de ce livre http://bit.ly/1h2r6RB ?
Petit bug dans le lien Amazon 😉 Je suis pas contre cliquer dessus avant de commander…
C’est corrigé !
Merci pour ton commentaire Annick, ce sont de sombres années effectivement…
2010 Je suis en Argentine; je suis frappée et horrifiée par la dictature des années 76 à 83
2012 Je suis au Paraguay ; le pays subit pendant 34 ans la dictature sous le régime de Stroessner et toutes les horreurs qu’elle engendre
2013, je suis en ce moment en Indonésie ; je découvre qu’en 1965 là encore un pays vit les pires monstruosités …. décidément !!!
Mais Dieu que ces 3 pays sont beaux et les habitants que j’y ai rencontré attachants bien que le XXe siècle ne leur fut pas toujours très favorable.
ce documentaire THE ACT OF KILLING est fort instructif et intelligemment réalisé. Merci.